Une équivoque

Article du « Courrier de Rome » N° 285 - Septembre 1988

Le conflit apparu entre « obéissance » et vérité repose cependant, en réalité sur une équivoque. Elle réside dans le fait d'identifier faussement l'obéissance due à la hiérarchie à une adhésion à des orientations imposées par des membres de la hiérarchie contre le précédent Magistère de l'Église. Prenons l'exemple du libéralisme et de l'oecuménisme qui inspirent le nouveau cheminement de l'Église et qui suscitent la résistance la plus vive des « traditionalistes ».

Le libéralisme, qui « défend la liberté civile de tous les cultes, laquelle n'est pas contraire en soi aux fins de la société, mais est conforme à la raison et à l'esprit évangélique » a été condamné à maintes reprises par l'Église à travers le Magistère d'une longue série de Pontifes, particulièrement par' Grégoire XVI, Pie IX, Léon XIII, etc. (22).

Le Père Garrigou-Lagrange ajoute dans son livre De Revelatione : « Cela, les Souverains Pontifes l'ont toujours enseigné, par exemple Boniface VIII dans la bulle « Unam Sanctam » (Dz. 469), Martin V dans la condamnation des erreurs de Jean Huss et de Wicleff (Dz. 640-82) et aussi Léon X comdamnant ex cathedra les erreurs de Martin Luther... »

En 1967 encore, le Père Matteo da Casola comptait au rang des « schismatiques », qui nient l'autorité du Pontifie Romain en quelque matière particulière, les « catholiques libéraux » et « qui admet le système politico-religieux du libéralisme pur qui enseigne l'absolue et pleine indépendance de l'État par rapport à l'Église » (23). Il s'ensuit que la « Déclaration sur la liberté religieuse » (Dignitatis Humanae), que l'on veut à tout prix imposer aux catholiques a été rédigée par des « schismatiques ».

Nous n'entrons pas dans le débat. Il nous suffit, ici, de relever qu'un rapide coup d'oeil sur les documents pontificaux des 150 dernières années permet à quiconque de se convaincre que la nouvelle orientation ecclésiale est l'oeuvre d'un vieux courant longtemps et obstinément rebelle au

Magistère (24). Ce courant, après que l'opposition ait été, lors du Concile, réduite au silence par des moyens plus ou moins honnêtes, s'est installé aux postes de commande dans l'après-Concile et exige aujourd'hui obéissance à ses propres orientations personnelles contre le Magistère précédent tout entier de l'Église.

De même l'oecuménisme irénique (25), d'origine protestante, qui inspira tous les textes équivoques ou inacceptables du Concile avant le chambardement liturgique de Paul VI, cet oecuménisme qui a imposé et imposé aux catholiques les déterminations les plus nombreuses et les plus graves, fut à maintes reprises comdamné par l'Église, spécialement à travers le Magistère de Léon XIII (Testeur benevolentiœ, Satis cognitum), de saint Pie X (Singulari quadam), de Pie XI (Mortalium animos), de Pie XII (Humani Generis).

Nous ne nous attarderons pas, tant nous l'avons constamment dénoncé et illustré dans ce périodique.

Pie XI écrivait dans Mortalium animos que la charité « ne peut pas tourner au détriment de la foi » et que, par conséquent, « le Siège Apostolique ne peut, d'aucune manière, participer à leurs congrès (des oecuménistes) et que, d'aucune manière, les catholiques ne peuvent apporter leurs suffrages à de telles entreprises ou y collaborer ; s'ils le faisaient, ils accorderaient une autorité à une fausse religion chrétienne, entièrement étrangère à l'unique Église du Christ ». « Pouvons-nous souffir, continue le Pape, que soit mise en accomodements la vérité, et la vérité divinement révélée ? Ce serait le comble de l'iniquité. Car, en la circonstance, il s'agit de respecter la vérité révélée. » C'est la démonstration du conflit entre la Vérité et une prétendue « obéissance », conflit que vivent aujourd'hui tant de catholiques.

Quant au « dialogue » qu'il faudrait nouer avec tous les errants et toutes les erreurs, ce n'est qu'une invention toute personnelle de Paul VI, absolument sans précédent dans les deux mille ans d'histoire de l'Église (26).

Toutefois, le catholique n'a le devoir d'être en communion avec le Successeur de Pierre que dans la mesure où il accomplit les devoirs de sa charge, c'est-à-dire dans la mesure où il garde, transmet et interprète fidèlement le dépôt de la Foi ; il n'a aucun devoir d'être en communion avec les « adinventiones », les inventions — opinions, vues, orientations personnelles — du Successeur de Pierre. Bien plus, si ces orientations sont en conflit avec la pureté et l'intégrité de la Foi, la fidélité au Christ requiert de résister à quiconque voudrait de quelque manière que ce soit les imposer, ceci de par la nette distinction à établir entre l'obéissance due à l'autorité et l'adhésion à des vues, à des opinions, à des orientations personnelles des détenteurs de l'autorité.

Et parce qu'il n'est pas rare qu'on mette à profit l'équivoque ci-dessus décrite pour tenter de donner mauvaise conscience aux « traditionalistes », il est aujourd'hui plus que jamais nécessaire d'avoir des idées claires sur la Papauté et sur sa fonction dans l'Église.

L'Église n'est pas bicéphale

« L'unique Corps de l'Église une et unique n'a qu'une seule tête, non deux, comme un monstre, et c'est le Christ et son Vicaire, le Seigneur ayant dit à Pierre : Pais mes brebis. Les "miennes" dit-il... (27) »

L'unique Église du Christ, donc est aussi Une et sous Un seul (28). Et parce que le Christ et Son Vicaire ne sont pas deux chefs distincts mais un seul et unique Chef, l'Église ne peut recevoir du Christ et du Pape deux orientations divergentes et encore moins opposées. Si le fait se produisait, inutile de dire à Qui va le devoir de fidélité.

Le Pape est, en effet, le Vicaire et non le Successeur du Christ (29) et l'Église est le Corps Mystique du Christ, non le Corps Mystique du Pape (30). C'est pourquoi saint Jérôme écrivait au pape Damase : « Moi, je ne suis personne d'autre que le Christ comme premier chef : Je suis ensuite lié par la communion à Votre Béatitude, c'est-à-dire à la chaire de Pierre, sachant que sur cette pierre est bâtie l'Église (31). »

Le Christ est la « pierre angulaire » sur laquelle se bâtit l'Église : Pierre n'est pierre que « par participation » (32). Il a entendu, oui, « qu'il devait être pierre ; non pas cependant de la même manière que le Christ. Le Christ est la pierre vraiment inébranlable ; Pierre est inébranlable par la vertu de Celle-là » (33). Le pape est, oui « tête et chef de l'Église mais au plan visible, dans l'ordre juridictionnel, pour autant qu'il est assisté par le Christ (infaillibilité) pendant le temps mesuré de son pontificat » (34).

Il s'ensuit que la communion avec le Pape est inséparable de la communion avec le Christ ; l'unité de l'Église est unité avec le Christ et avec Son Vicaire, jamais unité avec le Vicaire hors du Christ ou contre le Christ. La raison elle-même nous dit que « l'on doit obéissance à chacun selon son rang » ; on renverse sinon l'ordre de la justice (35).

Suite de l'étude


(22)     Grégoire XVI : encyclique Mirari vos (Dz. 1613-6) ; Pie IX : encyclique Quanta cura (Dz. 1689 etss.) et Syllabus (Dz. 1724-1755, 1777-1780) ; Léon XIII : encycliques Immortale Dei (Dz. 1867) et Lebertas (Dz. 1932).

(23)     Compendio di Diritto Canonico, éd. Marietti, Turin, p. 1320.

(24)     Cf. E.E.Y. Hales : La Chiesa cattolica nel mondo contemporaneo, éd. Paoline 1961.

(25)     Instruction sur le mouvement oecuménique du 20.12.1949 de Pie XII : « On doit éviter que, dans un esprit que l'on appelle aujourd'hui irénique, la doctrine catholique, qu'il s'agisse de dogme ou de vérités connexes, ne soit-elle même, par une étude comparée et un vain désir d'assimilation progressive des différentes professions de foi, assimilée ou accommodée en quelque sorte aux doctrines des dissidents, au point que la pureté de la doctrine catholique ait à en souffrir ou que son sens véritable et certain en soit obscurci. »

(26)     Voir Romano Amerio, op. cité. chap. XVI Le dialogue.

(27)     Boniface VII : Bulle Unam Sanctam (Dz. 468).

(28)     Saint Thomas Ha-Hae q. 39 a. 1 et Cajetan in Ha-Hae q. 39.

(29)     Cardinal Journet : L'Église du Verbe Incarné. Desclée de Brouwer, Fribourg 1962, p. 526.

(30)     Ibidem, p. 524 ; Cajetan : De comparata auctoritate papoe et concilii, chap. VIII, n° 519.

(31)     Ep. XV, 2, citée par Léon XIII dans l'encyclique Satis cognitum du 29 juin 1896.

(32)     Léon XIII : Satis cognitum.

(33)     Homélie De Poenitentia attribuée à saint Basile, citée par le Concile de Trente et par Léon XIII dans Satis cognitum.

(34)     Cardinal Journet, op. cité. p. 524.

(35)     Citation de Bossuet, dans Dictionnaire de Théologie catholique, t. IX, col 908.


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